C’est l’une des nouveautés phares de la rentrée : nos enfants vont apprendre à coder et passeront une épreuve d’algorithmique ou de programmation au brevet des collèges. Une évolution louable, mais pas suffisante, pour préparer nos enfants à l’ère numérique et aux métiers de demain.
L’apprentissage du code présente bien des vertus et il constitue une étape essentielle de « l’alphabétisation numérique ». D’abord, il permet de structurer la pensée et de s’exercer à la résolution de problème. Steve Jobs affirmait dans une interview rendue publique après sa mort : « tout le monde devrait apprendre à programmer, parce qu’apprendre à programmer, c’est apprendre à penser ». Argument valide, même si l’ironie veut que lui-même n’ait semble-t-il jamais su programmer. Ensuite, cet apprentissage fournit à nos enfants les outils pour devenir « producteurs » de technologie, et pas seulement consommateurs. C’est salutaire pour notre compétitivité future, alors que la France accuse un retard notoire sur les Etats-Unis, mais aussi le Royaume-Uni ou la Suède en matière de production du hardware, du software et des services qui font l’économie numérique (le McKinsey Internet Supply Leadership Index l’avait clairement établi). Enfin, savoir coder, c’est s’assurer – aujourd’hui en tout cas – un avantage sur le marché du travail.
C’est loin d’être négligeable en ces temps de chômage massif des jeunes. De fait, le dernier bulletin de l’OCDE sur l’économie digitale révélait que 42 % des entreprises françaises à la recherche d’un collaborateur spécialiste des TIC peinaient à pourvoir le poste. Des initiatives telle l’Ecole 42 entendent répondre à ce déficit de compétences, tandis que de nombreux actifs empruntent la voie de l’auto-formation, comme en témoigne le succès des MOOC de codage.
Mais prenons garde à ne pas réduire au codage le débat sur les compétences du futur. Le codage n’est pas, de loin, l’unique aptitude que nos enfants devront démontrer, encore moins un sésame pour un emploi dans dix ou vingt ans.
Pour le comprendre, il faut tenter de se projeter dans le futur du travail – qui fait actuellement l’objet de débats passionnés, aussi bien dans les milieux académiques qu’économiques. L’une des tendances qui influencera le plus profondément ce futur du travail est l’automatisation. Les progrès combinés de la robotique et des algorithmes permettront de faire réaliser par des machines un nombre croissant de tâches. Mais le goût du sensationnalisme, et la quête de publicité par certains laboratoires ou entreprises pionnières, conduisent parfois à une présentation caricaturale de cette évolution, en résumé : « les robots arrivent pour prendre nos jobs ». A quelques exceptions près, la réalité sera plus nuancée. Dans la plupart des métiers, une partie des tâches, plus ou moins significative, pourra être automatisée. Mais, à de rares exceptions près, aucune machine n’accomplira la totalité des tâches dévolues à un employé. Les machines ne « remplaceront » donc pas les salariés ; elles feront évoluer le contenu de leurs tâches, les conduisant à se spécialiser sur celles qui ne sont pas prédictibles. Une analyse récente de McKinsey a décrit ce phénomène en détail, métier par métier et secteur par secteur, pour le marché du travail aux Etats-Unis. L’étude révèle que la moitié (51 %) du temps de travail des salariés américains, en moyenne, est consacrée à des tâches susceptibles d’être automatisées avec des technologies déjà existantes. Ce sont surtout des tâches de collecte de données, de traitement routinier des données, ainsi que des tâches physiques répétitives.
Nous préparer – et préparer nos enfants – au monde du travail futur, c’est donc avant tout s’équiper des compétences qui nous rendront performants dans des tâches non prédictibles, assistés de machines bien meilleures que nous pour toutes les autres. Ces tâches non prédictibles sont extraordinairement variées : gérer une équipe ou un projet ; interagir avec des clients, des patients, des administrés, des élèves ; déployer une expertise pointue. Elles ont néanmoins quasiment toutes un point commun : elles ont trait à la relation humaine.
Pour en revenir au codage, celui-ci apparaît donc bien davantage comme une initiation à la « pensée computationnelle » qu’un visa pour l’emploi. En effet, la programmation informatique est une activité largement prédictible. Dans un récent post, Dan Safer de Mayfield Robotics, s’essaie à en imaginer le contenu futur. Son pronostic : dans le design d’applications, une large part des tâches de codage pourraient être prochainement automatisées, et la valeur ajoutée se déplacerait vers l’ingénierie des interactions avec l’utilisateur… la relation humaine donc. Une telle évolution serait assez comparable à celle observée dans le design de site web : à l’âge d’or des webdesigners, dans les années 2000, ont succédé les systèmes de gestion de contenu. Construire un site web aujourd’hui, c’est surtout créer une expérience, penser l’ergonomie et les usages, sans plus guère se préoccuper de html.
Or, au risque d’énoncer une tautologie, pour exceller dans le domaine de la relation humaine, qui nous restera sans doute longtemps réservé, ce sont les aptitudes… humaines et relationnelles qu’il faudra encourager et développer. Celles-ci comprennent d’une part les compétences que les anglo-saxons qualifient de « soft skills » : l’empathie, l’écoute, l’agilité, la gestion des émotions et du stress, et d’autre part les sciences humaines, qui fournissent un cadre indispensable pour penser l’altérité et la complexité. En effet, l’intelligence relationnelle a besoin de s’ancrer dans la culture. En quoi ces compétences sont-elles utiles dans le contexte professionnel ? Par exemple : programmer une application qui qualifie un client pour un crédit à la consommation sera peut-être bientôt à la portée d’une machine, mais pas appréhender les dimensions économiques, sociales, voire psychologiques, qui entourent chez le consommateur l’acte de s’endetter. Et c’est pourtant bien cette compréhension qui est nécessaire pour offrir au client une expérience sympathique tout en s’assurant de sa capacité à rembourser.
C’est pourquoi je suis convaincu que « décoder » sera tout aussi important, à l’avenir, que coder. Si, au final, les machines nous poussent à cultiver nos compétences humaines, autrement dit à devenir des humains « plus humains », ce ne sera pas le moindre des services qu’elles nous auront rendus.
Sélectionné par Actualités & Analyses, Carrière & Leadership
Rédigé par
Hazan. Eric